Le héros philippin : bien souvent une héroïne
Alors qu’approche à grands pas la célébration le 8 mars de la journée internationale des droits des femmes, il paraît opportun de s’interroger sur le rôle joué de manière générale par les femmes dans la société philippine et, de manière particulière, sur leur contribution à la construction de la nation philippine.
En ce domaine, à bien des égards, la figure ô combien emblématique du héros national José Rizal a progressivement éclipsé celles de nombreux autres héros de la lutte pour l’indépendance de l’archipel et de son développement dans les décennies qui ont suivi cette période. Héros parmi lesquels figurent en réalité de très nombreuses héroines, tant a été et continue d’être grand le rôle joué par les femmes dans la construction de la nation philippine.
Comment bien sûr ne pas penser, à ce sujet, au rôle éminent joué il y a une trentaine d’années par la courageuse Corazon Aquino ? Reprenant à la suite de l’assassinat de son époux, l’opposant Benigno Aquino, le flambeau de la lutte qu’il avait menée contre la dictature de Ferdinand Marcos, elle parvint de manière pacifique à mettre fin à son régime et à rétablir des institutions démocratiques dans l’archipel. Outre cet héritage précieux dont il jouit encore aujourd’hui, le peuple philippin lui doit aussi, de manière plus anecdotique mais non moins significative en la circonstance, d’avoir décidé en 1988 que le mois de mars serait, chaque année, un mois de célébration du « rôle des femmes dans l’Histoire », avec comme objectif de contribuer à renforcer dans la durée la place et le rôle des femmes philippines dans le fonctionnement de la société.
Pour cette raison même, il ne faut pas, là encore, s’en tenir à la seule évocation du destin exceptionnel de Corazon Aquino, tant sont nombreuses les autres femmes qui ont marqué de leur empreinte durable l’histoire de la nation et de la société philippines.
Il y eut tout d’abord nombre de combattantes et de révolutionnaires illustres, parmi lesquelles Gabriela Cariño Silang (1731-1763), surnommée la « Jeanne d’Arc d’Ilocandia », restée célèbre pour les soulèvements populaires qu’elle organisa contre le pouvoir colonial espagnol dans la région d’Iloilo, Melchora Aquino (1812-1919), qui, à plus de quatre-vingt ans, apporta soins et soutien aux révolutionnaires engagés contre les colonisateurs espagnols et dont la maison accueillit des réunions secrètes de la Katipunan, l’association secrète fondée par les révolutionnaires, Marcela Marcelo (1868-1897), la « Henerala Sela », tombée au champ d’honneur lors de la bataille de Pasong Santol, Gliceria Villavivencio (1852-1929), qui finança et supervisa activement la dissémination des écrits de José Rizal au sein de la population philippine, enfin Nazaria Lagos (1851-1945), qui prit à Dueñas, île de Panay, la direction d’un hôpital destiné à soigner les révolutionnaires blessés, et dont l’Histoire a retenu qu’elle cousit avec ses quatre filles le premier drapeau philippin, hissé le 12 juin 1899 sur la place centrale de Dueñas.
Plus près de nous, peuvent être cités les noms de Nieves Fernandez (née en 1906), de Simeona Punsalang-Tapang (née en 1923) et de Remedios Paraiso-Gomez (1919-2014), qui toutes trois s’illustrèrent au début des années 1940 dans la lutte contre l’occupation japonaise. Tel fut aussi le cas de Maria Ylagan Orosa (1893-1945), qui périt dans les bombardements de Manille après avoir refusé de quitter son poste de commandement et dont le souvenir est également resté comme celui d’une nutritionniste d’avant-garde, à l’origine de la création de nombreux produits alimentaires encore d’un usage courant aujourd’hui aux Philippines, tels le « banana ketchup », le « calamansi nip » et le « soyalac » (calamansi et graines de soja en poudre).
A l’évocation de temps troublés, il convient aussi de rappeler le souvenir des victimes du régime de la Loi martiale, au rang desquelles la jeune étudiante engagée en faveur de la défense des droits de l’Homme Liliosa Hilao (1950-1973), connue comme la première victime de cette ère sombre de l’histoire contemporaine des Philippines, ou encore la militante des droits des femmes Lorena Barros (1948-1976).
Cette histoire très chargée, au plan politique, ne doit pas occulter le fait que de très nombreuses femmes ont également contribué de manière décisive au développement de l’archipel au fil du temps, dans des domaines très variés.
Ainsi par exemple de la médecine, qui vit s’illustrer Olivia Salamanca (1888-1913), l’une des premières femmes médecins des Philippines à avoir dédié sa courte vie à la lutte contre la tuberculose, Estefania Aldaba-Lim (1917-2006) et Fe del Mundo (1911-2011), qui consacrèrent l’une et l’autre leurs vies et carrières à faire progresser, respectivement, les causes de la santé mentale et de la pédiatrie aux Philippines.
Dans les domaines de la littérature, de l’histoire et des sciences sociales émergent également des figures majeures, parmi lesquelles celle de Leona Florentino (1849-1884), poétesse, satiriste et féministe engagée, connue comme la « mère de la littérature philippine », et celle d’Encarnacion Alzona (1895-2001), première historienne philippine diplômée et ardente promotrice du droit de vote pour les femmes philippines, finalement acquis en 1937.
Dans le domaine des arts, peuvent être cités, parmi tant d’autres, les noms de Pelagia y Gotianquin Mendoza (1867-1939), sculptrice de renommée mondiale, et de Maria Carpena (1886-1915), première chanteuse philippine à enregistrer ses chansons et à se faire connaître en Occident. Plus près de nous, comment ne pas songer aux fabuleuses actrices que sont Nora Aunor et Jaclyn Jose, qui ont grandement contribué à populariser le cinéma philippin en dehors des frontières de l’archipel ?
Cette liste pourrait bien sûr être prolongée, étoffée, déclinée… à l’infini. Il n’y a là, en effet et en réalité, qu’une brève sélection de quelques femmes philippines s’étant illustrées à un moment important de l’histoire philippine ou ayant contribué de façon marquante, dans un domaine particulier, au développement économique, social et culturel de l’archipel philippin.
L’évocation de leurs noms a valeur d’exemple, mais il faut bien considérer en effet qu’aux Philippines peut-être plus qu’ailleurs, et même si des progrès restent naturellement encore à accomplir, les femmes ont pris et continuent de prendre une part importante dans la vie publique du pays. Pour n’être pas (encore) pleinement égalitaire, la société philippine peut en effet s’enorgueillir d’un rôle joué par les femmes historiquement plus affirmé que dans de nombreux autres pays.
Aussi, tant pour rendre hommage aux nombreuses femmes philippines qui ont marqué par leur courage et par leur action l’histoire de l’archipel que pour nourrir un dialogue fécond entre la France et les Philippines sur les questions relatives aux droits des femmes et à leur place dans la société, où chaque partie puisse apprendre de la trajectoire et des expériences de l’autre dans la marche vers une égalité réelle entre les sexes, l’Ambassade organisera ce 8 mars à l’Alliance française de Manille une soirée culturelle publique de célébration de la journée internationale des droits des femmes ainsi que, mi-mai, un séminaire intitulé « She for She » dont le but sera de mettre en évidence en quoi l’action des femmes et les valeurs de solidarité qu’elles portent peuvent constituer des facteurs décisifs de transformation des sociétés, au service du bien-être commun.